Qu’arriverait-il si l’humanité quittait la planète en oubliant de débrancher le dernier robot ?

Andrew Stanton

 

Les moyens technologiques de notre époque rendent de plus en plus tangible l’irruption de nouvelles formes évoluées d’intelligence et de conscience. Ainsi pour la première fois une création humaine pourrait imiter, voire dépasser, des qualités que l’homme croyait réservées à son usage propre. Au pire en condescendant à les reconnaître, dans une moindre mesure, chez les divers Bonobo, dauphins ou autres poulpes et corneilles.
En seulement deux ans, comme le souligne Yann LeCun, les progrès du deep learning, dont il fut l’un des premiers à comprendre la portée il y a déjà près de 25 ans, sont extraordinaires, fascinants. Les capacités avancées d’auto-apprentissage ouvrent des scénarii prometteurs. Siri, l’assistant vocal d’Apple, en est un exemple. Quotidiennement, il répond à 150 millions de questions de façon toujours plus pertinente, voire toujours plus troublante dans certains cas.
RHNBLa fiction avait largement anticipé cette situation désormais imminente. Le Golem, Frankenstein (et ses origines genevoises) ou l’extraordinaire monologue d’un Nexus 6 sachant son heure venue mêlant ses larmes à la pluie,  n’en sont que quelques exemples. Asimov à l’origine du mot « Robotique » imaginait déjà des gardes fous avec ses fameuses trois lois et l’adjonction ultérieure de la loi zéro.

S’il s’agissait d’aller encore plus loin en nous protégeant contre nos futures créations cybernétiques, peut-être existerait-il une solution : celle-ci consisterait à nous rendre imperceptibles pour elles. Mais combien de temps cela durerait-il ? Le deep learning, agissant en elles de manière autonome, continuant son œuvre ?

Par analogie, n’existe-t-il pas là un questionnement sur notre propre humaine condition ?

L’immense Jorge Luis Borges (qui repose à Genève) y avait répondu à sa manière :

Le jeu d’échecs

I
Impassibles dans leur coin, les joueursborges
Guident les lentes pièces. Une guerre
Jusqu’à l’aube les retient au sévère
Damier où se détestent deux couleurs.

Du centre rayonnent de magiques rigueurs :
La tour homérique, l’agile cheval,
La reine écrasante, le roi final,
Le fou oblique et les pions accrocheurs.

Quand les joueurs se seront retirés,
Quand le siècle les aura consumés,
Le rite ne sera pour autant accompli.
C’est en Orient que s’alluma cette guerre.
Désormais pour théâtre elle a toute la terre
Car ce jeu, comme l’Autre, est infini.

II
Tous : roi débile, fou diagonal, reine
Acharnée, tour directe et pions rusés,
Par le noir et le blanc de leur trajet
Cherchent et livrent leur bataille concertée.

Ils ne savent pas l’évidente main
Du joueur qui dirige leur destin ;
L’inflexible et transparente rigueur
Qui pour eux choisit et mesure le chemin.

Le joueur, à son tour, se trouve prisonnier
(Omar l’a dit) des cases d’un autre échiquier
Où les nuits sont les noires et les jours les blanches.
Dieu meut le joueur et le joueur, la pièce.
Quel dieu, derrière Dieu, commence cette trame
De poussière et de temps, de rêves et de larmes ?

F6 Team